Pistés comme jamais
09 Feb 2020
Il était temps que j'écrive un article sur le pistage (ou tracking en anglais) et ses incidences sur la vie privée.
Derrière la formule Google sait où est ta mère, je souhaitais sous-entendre le fait que nous sommes maintenant pistés dans tout ce que nous entreprenons, que ce soit sur internet ou dans la vie réelle, principalement par les grosses sociétés telles que les GAFAM (Google Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).
Toutes les données que l'on génère font l'objet d'un stockage, d'une analyse, d'échanges, de ventes… sans que l'on ne s'en rende vraiment compte.
Si vous êtes en train de lire ce blog, je suppose que vous avez déjà une petite sensibilisation sur le sujet et vous êtes conscients que c'est pas joli joli niveau exploitation de nos données, mais c'est assez loin de nos préoccupations quotidiennes car nous ne nous en rendons pas plus compte que ça.
Je ne suis pas encore prêt à écrire un article de fond sur le sujet, je vais plutôt vous donner quelques exemples qui devraient vous donner matière à réfléchir.
https://www.latimes.com/business/story/2020-01-21/ralphs-privacy-disclosure
L'état de Californie oblige depuis peu les entreprises à divulger ce qu'ils savent sur leurs clients et comment ils utilisent ces informations. La plupart des entreprises ont rédigé un document dans les termes les plus obscurs et vagues possibles, excepté une chaine de supermarché (Ralphs) qui a loupé sa communication en étant trop précise :
- niveau d'éducation, historiques des emplois, données sur sa santé et ses assurances
- données financières comme son compte bancaire, ses numéros de cartes de crédit, l'historique des crédits contractés, son credit score
- informations comportementales comme l'historique des achats, les données de géolocalisation (allées spécifiques dans le magasin où vous passez du temps, les autres magasins où vous allez)
- informations sur ses activités en ligne, inférences basées sur l'analyse de ces informations
- autres informations venant de bases de données publiques ou mise à la vente par des sociétés spécialisées dans la collecte de données
Tout ça pour vous proposer des coupons de réduction de quelques dollars.
https://www.lopinion.fr/edition/economie/chalutage-donnees-reseaux-sociaux-debut-d-peche-miraculeuse-mieux-208904
Extraits choisis :
Introduction en janvier d'une nouvelle loi en France qui autorise les administrations fiscale et douanière à collecter massivement et exploiter automatiquement les données publiques sur les sites des réseaux sociaux et des opérateurs de plateforme définis par l’article L. 111-7, I, 2° du Code de la consommation (1) tels que Facebook, Instagram, Leboncoin, AirBnb, Ebay ou encore LinkedIn. L’objectif de ce chalutage des données est de permettre à l’administration de mieux cibler ses contrôles fiscaux.
A titre d’exemple, le dispositif pourrait retenir certaines anomalies telles que :
- La récurrence de vos annonces de location saisonnière publiées sur Airbnb sans que vous ne remplissiez vos obligations fiscales afférentes
- Vos publications sur Facebook de recherches ou d’offres d’emploi non déclarées dans des groupes dédiés en visibilité publique
- La publicité que vous vous feriez sur des événements auxquels votre entreprise participe dans des posts LinkedIn pour des prestations en France alors que vous prétendez n’avoir aucune activité dans le pays.Les photos de votre journal qui monteraient que vous n’êtes pas non résident de France.
- Le nom des amis qui pourrait être interrogé ou donner des informations sur votre train de vie ou vos habitudes…
Et le mieux dans la conclusion :
Pour finir, on peut se demander si dans le cadre d’une approche loyale et équilibrée de l’application de la loi fiscale, l’Administration ne devrait pas utiliser ces nouveaux outils pour déceler les situations où les contribuables ont manifestement trop payé d’impôt. Imaginons une personne sur les réseaux sociaux qui indique avoir fait des dons importants à une association alors que sa déclaration fiscale ne mentionne aucune réduction d’impôt. Dans cette situation, l’Administration devrait pouvoir relever cette erreur et déterminer avec le contribuable s’il ne peut pas bénéficier d’une réduction d’impôt. De même, si un contribuable indique sur LinkedIn un lieu de travail à plus de 50km de son domicile et que sa déclaration fiscale ne mentionne aucune déduction au titre des frais kilométriques, l’Administration devrait pouvoir proposer au contribuable une déduction à ce titre.
https://www.scientificamerican.com/article/7-in-10-smartphone-apps-share-your-data-with-third-party-services/
Plus de 70% des applications android partagent les données qu'elles récoltent avec des tierces parties, les plus importantes étant Google, Facebook, Crashylitics.
Généralement les développeurs d'applications utilisent des librairies tierces déjà faites, pour ne pas réinventer la roue, par exemple pour ajouter les boutons Like, Share… Sauf que ces librairies tierces récoltent aussi les données récupérées par l'application. Ces librairies sont utilisées par des milliers d'applications, et c'est le même principe pour des millions de sites web.
Les capacité de recoupement et d'accumulation de données sont immenses.
https://www.seas.harvard.edu/news/2020/01/imperiled-information
Pour illustrer l'article précédent : deux étudiants d'Harvard on fait un petit tour sur le dark web pour récupérer des datasets (gros tableaux Excel pour simplifier) de données récupérées illégalement par des hackers et mis à disposition.
En combinant plusieurs datasets entre eux, ils se sont rendus compte, ô surprise, que les gens réutilisaient les mêmes adresses mail, logins, mots de passe sur plusieurs sites et qu'il était possible de dresser des profils pour chaque personne et de les catégoriser.
Par exemple ils pouvaient sortir une liste de plus de 1000 personnes respectant les critères : gros salaire, marié, avec enfants, et avec un login sur un site d'adultère. Ou bien une liste de politiciens (sénateurs, maire de Washington…) avec leur credit score, leur numéro de téléphone, leur adresse…
https://brave.com/ukcouncilsreport/
Les sites des "council" (sorte de conseil municipal, département ou régional), proposant des services liés à l'éducation, au social… permettent à des sociétés tierces de récolter les données des visiteurs de ces sites. Plus concrètement, si vous cherchez des informations sur la prise en charge d'une personne handicapée, pour rejoindre un établissement de désintoxication, pour faire valoir vos droits à une aide car vous vivez sous le seuil de pauveté, pour localiser des établissement où vous pouvez avorter… ces sociétés tierces le savent et, avec le reste des informations dont elles disposent grâce à d'autres sources de données, peuvent relier ces informations directement à vous.
https://thetoolsweneed.com/poorly-secured-medical-credit-score-could-deny-you-care/
Toujours dans le domaine de la santé, les établissements de santé privés (hopitaux, cliniques…) aux états-unis partagent leurs données (enfin vos données, celles des patients) avec des sociétés spécialisés dans la collecte de données. Déjà voir ses données santé balancées à n'importe qui c'est pas tip top, mais ce qu'ils en font va plus loin. Ces sociétés (Experian par exemple) construisent une note pour chaque personne, à l'aide d'un algorithme maison que personne ne connait et ne sait comment il est construit, et qui sert aux établissement de santé à décider si oui ou non ils veulent bien de vous. Notamment si vous avez bien payé votre factures de santé dans tous les hopitaux où vous êtes passés. Si jamais un infirmier surchargé de travail, à la fin de sa journée, se trompe en indiquant dans le logiciel que vous n'avez pas payé votre facture en sortant de l'hopital alors que vous l'avez fait, vous ne le saurez jamais. Et vous serez fiché comme mauvais payeur et potentiellement refusé dans d'autres hopitaux parce que votre note est moins bonne que la moyenne, car l'hôpital ne veut pas prendre le risque d'accepter de mauvais payeurs, sans que vous ni l'hopital ne sachent exactement pourquoi elle est moins bonne.
https://arstechnica.com/tech-policy/2020/01/avast-kills-off-jumpshot-the-subsidiary-that-sold-all-your-web-data/
Avast récoltait et revendait les données telles que les sites web visités, les actions réalisées sur le navigateur, les coordonnées GPS… des appareils sur lesquels il était installé.
https://arstechnica.com/information-technology/2019/08/kaspersky-av-injected-unique-id-into-webpages-even-in-incognito-mode/
Pour rester dans les antivirus, Kaspersky injectait dans chaque page web visitée un identifiant unique permettant de suivre les habitudes des utilisateurs qui n'étaient alors plus du tout anonymes.
https://korben.info/chrome-id-comment-google-vous-traque-a-laide-de-chrome.html
Google aussi sait faciliter la vie des gens qui collectent vos habitudes de navigation en introduisant dans la version 54 de son navigateur un identifiant unique, qui permet de vous pister peu importe les protections que vous mettez en place.
https://www.buzzfeednews.com/article/leticiamiranda/retail-companies-are-testing-out-facial-recognition-at
De plus en plus de magasins aux états-unis scannent votre visage, sans votre consentement, sans que vous ne le sachiez, sans que vous ne puissiez vous y opposer, pour alimenter une base de données clients et faire de la reconnaissance faciale pour vérifier que vous ne faites pas partie d'une base de données genre voleurs, LPAD Most Wanted… auquel cas la sécurité est prévenue immédiatement. Le problème c'est que la reconnaissance faciale est loin d'avoir 100% de précision (surtout pour les personnes de couleur) ce qui implique que vous pouvez être pris pour quelqu'un d'autre et être interdit d'accès au magasin, et vous n'y pouvez strictement rien.
C'est aussi utilisé pour reconnaitre les expressions du visage (tristesse, ennui, joie, colère…) pour que la magasin sache dans quel état d'esprit vous étiez quand vous êtes venu les voir, et par exemple si vous n'étiez pas content, d'aller taper sur les doigts des employés. Même si ça n'a rien à voir avec le service qu'ils vous rendent.
https://www.theverge.com/2020/2/4/21122044/google-photos-privacy-breach-takeout-data-video-strangers
Google a malencontreusement envoyé les vidéos privées stockées sur Google Photos de certains utilisateurs à d'autres, de manière aléatoire. Faut espérer que ce n'était pas votre sextape perso.
https://www.bbc.com/news/technology-51207744
Le FBI a négocié avec Apple pour que ce dernier ne mette pas en place le chiffrement de bout-en-bout des données liées à iCloud, afin de lui permettre de pouvoir y accéder sans que ce soit trop pénible. Par contre si des personnes mal intentionnées accèdent à vos données, c'est open-bar pour elles aussi. L'intérêt des utilisateurs est toujours la priorité d'Apple.
https://robertheaton.com/2020/02/05/wacom-drawing-tablets-track-name-of-every-application-you-open/
Le driver qui permet de connecter une tablette de dessin (marque Wacom) à un ordinateur, et qui n'est pas censé faire autre chose que transmettre une information dans un sens et dans l'autre, envoie des données à Google Analytics notamment quelles applications vous avez ouvert sur votre ordinateur et à quelle heure. Et si vous n'êtes pas connectés à internet, il les garde en mémoire et balance tout une fois la connexion à internet rétablie.
https://krebsonsecurity.com/2020/02/when-your-used-car-is-a-little-too-mobile/
Aux US il est maintenant assez répandu de pouvoir géolocaliser, verrouiller et même démarrer à distance sa voiture, à partir d'une application sur son smartphone.
Sauf que si le service de location de véhicule ne gère pas bien sa politique de révocation d'accès, vous pouvez vous retrouver à visualiser la position et à pouvoir interagir avec un véhicule plusieurs années après l'avoir loué. Ce qui est arrivé à une américaine.
https://jalopnik.com/tesla-remotely-removes-autopilot-features-from-customer-1841472617
Tesla peut activer ou désactiver à distance des options sur les voitures vendues, quand il le souhaite et pour la raison qui lui convient. En l'occurence, Tesla a désactivé plusieurs options sur un véhicule, qui coûtent 8000$, et qui étaient préalablement activées, car la société pensait que l'acheteur n'avait pas payé pour ces options.
https://www.theatlantic.com/technology/archive/2019/02/googles-home-security-devices-had-hidden-microphones/583387/
Des caméras de sécurité vendues par Google étaient équipées d'un micro sauf que personne n'était au courant. Google s'est excusé en disant qu'il avait été mis là pour être activé plus tard et à ce moment les acheteurs seraient au courant et pourraient le désactiver s'ils le souhaientent. Evidemment, il faut faire confiance à Google quand il dit que ce n'était pas utilisé jusqu'à présent.
Ca me rappelle les télévisurs connectés qui ont toujours la caméra et le micro d'activé et qui transmettent ces infos, ils avaient sortis la même excuse en disant que ce n'était pas activé alors qu'on a su plus tard que si.
Je pourrais encore continuer un moment comme ça avec :
- les caméras personnelles de sécurité Ring Doorbell d'Amazon aux Etats-Unis, la police vient régulièrement demander aux gens de leur donner les enregistrements vidéo, et il est toujours compliqué de dire non dans ces cas-là
- les lecteurs de plaques d'immatriculation automatique, pour constituer des bases de données des déplacements de tout un chacun, la police le fait mais n'importe qui peut le faire aussi de son côté et revendre ces informations
- les IMSI-catcher, beaucoup utilisés dans les manifestations par les forces de l'ordre pour collecter les identifiants des téléphones des manifestants, ce sont des antennes relai qui font croire au téléphone qu'il se connecte à l'antenne de son opérateur la plus proche
- les assurances qui proposent des réductions à ceux qui leur partagent des données d'activités (nombre de pas par jour, activités sportives, temps de sommeil, fréquence cardiaque…), ce qui va peut-être finir par devenir obligatoire et se transformer en malus si l'on s'y oppose
- les constructeurs de véhicules qui stockent vos données de conduite (ainsi que Google si Android est installé dedans) et qui vont finir par s'associer aux assureurs pour ajuster le prix de votre assurance en fonction de votre conduite, infractions…